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Avalon

Sommaire :
  1. Métamorphoses
  2. Standard
  3. Réalité
  4. Parasitage
  5. Réel ?
  6. Réalité ?

Les métamorphoses successives d'un monde virtuel

Je pars pour le val d'Avalon, afin d'y guérir de ma cruelle blessure. Si tu n'entends plus jamais parler de moi, prie pour le repos de mon âme.1

Dans ce film en prise de vues réelles, le cinéaste nous parle de mondes virtuels, de jeux vidéo et d'exclusion sociétale. Le jeu de métamorphoses qu'OSHII va mettre en place entre les différents mondes dans lesquels son héroïne Ash va évoluer repose sur un nombre important de trucages et d'effets visuels. Dans le commentaire audio du DVD d'Innocence, OSHII confie qu'à ses yeux seule l'animation peut rendre certains effets, impossibles en prise de vues réelles, à moins d'être prêt à retravailler entièrement l'image, ce qu'il fit pour Avalon. Dans le film, quatre mondes existent, quatre différents niveaux de représentation, quatre possibles. En fait, il n'en est montré avec certitude que trois, le quatrième étant seulement annoncé. Ces quatre mondes sont : l'univers standard du jeu Avalon, la réalité supposée dans laquelle vit Ash, le niveau de jeu dénommé « Class Real » et le niveau Avalon apparaissant sur l'écran titre de fin du film.

L'Univers standard du jeu

Nous allons voir comment à partir des différents termes qui qualifient chaque lieu de représentation, une hiérarchie peut se mettre en place entre eux et soulève des questions sur la qualification du dernier. Penchons-nous d'abord sur l'univers standard du jeu. Le décor est immanent à l'action, il n'a lieu d'être que par rapport à elle, comme dans tout jeu vidéo il est corrélatif de ce que l'on dénomme dans ce secteur le level design : conception des niveaux d'un jeu, ce terme englobe la disposition des ennemis, des bonus et les possibilités d'évolution d'un niveau à l'autre. Concrètement dans le film d'OSHII, cela se traduit par l'apparition et la disparition des décors d'un environnement à l'autre durant la même partie. Lorsque des personnages s'y déplacent, ils sont capables de téléportation. La colorimétrie de l'image associée à cet univers tend vers un ton sépia plutôt saturé et il est fréquent que des accélérations ou des ralentis de l'image accompagnent les déplacements des personnages. Les ruines ici sont très présentes (Image 1).

Capture d'écran du film Avalon

Image 1. Un niveau fait de ruines dans l'univers standard du jeu Avalon.

La réalité supposée...

Dans le monde supposé réel, où Ash vit dans un appartement, la colorimétrie est sensiblement moins saturée dans les tons sépia mais reste considérablement retravaillée. Ash possède un appartement une pièce où vit son chien, un basset (notons ici que OSHII est un fou de chien et en particulier de basset, il en a un lui-même qui se prénomme Gabrielle). L'essentiel de sa vie se résume à côtoyer son chien dans son appartement et à jouer en solitaire à Avalon pour gagner sa vie. Les passants de cet univers qu'elles rencontrent sont tous immobiles (nous y reviendrons) et sont tous identiques d'un moment à l'autre du film. Les seules personnes qui bougent et ont un semblant de vie sont celles avec qui elle sera en prise directe ou qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l'intrigue dans laquelle elle plonge, attirée par les rumeurs d'un niveau de jeu spécial. Étonnamment toutes les statues qu'Ash est susceptible de croiser sur son chemin sont cassées au niveau de la tête ou n'ont pas le visage visible. Une statue en particulier posée sur une étagère derrière le comptoir de validation du jeu Avalon représentant deux chérubins jouant ensemble : l'un a la tête tournée vers le mur et l'autre qui devrait l'avoir tournée vers Ash est décapité.

Lorsqu'elle se rend à l'hôpital pour aller voir son ancien compagnon de jeu Murphy, devenu un légume et faisant partie de ces joueurs que l'on surnomme Unreturned, en voix-off Stunner lui raconte la rumeur du personnage caché, la fillette aux yeux tristes, surnommée « Ghost ». A ce moment-là, alors que Ash marchait dans un couloir de l'hôpital et regardait à droite et à gauche, un plan de coupe vient s'insérer et l'on peut voir une petite fille au regard triste debout dans un bureau au milieu d'infirmières qui ne semblent pas la remarquer. Alors que Stunner raconte que tous ceux qui ont décidé de la suivre ne sont jamais revenus, Ash détourne les yeux et continue d'avancer. La mise en scène n'est pas explicite sur ce point précis, il est impossible d'être formel quant au fait qu'Ash ait pu ou non voir cette fillette et si elle est ou non le Ghost, mais si l'on admet cette hypothèse, alors tout le postulat du film sur lequel repose la distinction entre le monde du jeu et celui de la soi-disant réalité s'effondre (Image 2).

Capture d'écran du film Avalon

Image 2. Quand le postulat de mondes séparés se met à dérailler.

Un parasitage incessant !

Les passants immobiles sont là pour appuyer, il nous semble, cette hypothèse de lecture quant à la présence d'au moins deux mondes virtuels ne cessant de se parasiter l'un et l'autre. Trois autres indices viennent s'ajouter à notre démonstration. Le premier concerne le chien d'Ash et le moment de sa disparition. Au milieu du film, Ash rentre chez elle après avoir acheté des victuailles et prépare à manger pour son chien, que l'on ne voit pas mais que l'on entend nettement hors-champ. Au moment de le servir, celui-ci a disparu alors que la porte de son appartement était bien fermée. Alors qu'elle ouvre sa fenêtre pour regarder si elle ne l'aperçoit pas dans la rue, on entend au loin le bruit que font les hélicoptères de combat présents dans le monde du jeu.

Le caractère vierge des pages du livre que prend Bishop dans la bibliothèque d'Ash nous donne un deuxième indice : ce caractère de simple objet présent pour son apparence extérieure nous rappelle comment sont définis les objets dans un jeu vidéo, dont seule compte l'apparence, et dont l'existence par rapport aux termes du jeu s'arrête à leur enveloppe extérieure. Enfin le « Game Master » nous dévoile le troisième indice lorsqu'il répond à la question que lui pose Ash avant son plongeon dans le jeu pour rejoindre Bishop et Stunner. Elle lui demande s'il est un élément appartenant au système de jeu ou bien un élément extérieur. Il lui dit que sa réponse importerait peu puisqu'elle n'aurait aucun moyen de la vérifier. Autrement dit, quelle que soit sa réponse, son statut est le même. D'après tous ces indices, nous pouvons légitimement émettre l'hypothèse que les deux mondes (celui du jeu et celui de son appartement) sont des facettes différentes d'une même virtualité (Image 3).

Capture d'écran du film Avalon

Image 3. La disparition du chien : virtualité violente du monde supposé réel.

Un univers réel...?

Le troisième monde décrit dans le film d'OSHII est le fameux niveau « Class Real ». Alors que Ash vient de tirer sur le Ghost dans le niveau spécial A, elle se « réveille » et se retrouve dans la pièce de son appartement, vidée de toute décoration, et où n'est présent que l'appareil permettant de jouer, une table, un écran de contrôle et au premier plan une gamelle vide. Derrière les volets des fenêtres, elle trouve des murs. Sur un mur de sa pièce est collée une affiche de concert où elle doit se rendre et qui est illustrée par l'image de la gueule d'un chien ressemblant à son basset. Elle met des vêtements appropriés et sort de la pièce. Elle se retrouve dans le couloir des cellules de jeu déjà vu auparavant dans le film mais les lieux semblent déserts. Elle se dirige vers la sortie et lorsqu'elle franchit la porte pour arriver à l'air libre, la colorimétrie change dans le même plan pour revenir à un niveau naturel de rendu des couleurs : Ash est bien dans la « Class Real ».

Dans cet univers, tout le monde semble bien vivant, les passants bougent. On comprend dès lors que la colorimétrie des deux univers précédents était calquée sur l'ambiance lumineuse du lieu où se trouvait sa cellule de jeu. Si cet univers semble a priori pouvoir être lu comme la Réalité, notre réalité, quelques indices ne permettent pourtant pas de l'affirmer. Tout d'abord, les propos que tient Murphy à Ash : « la réalité est ce qui nous paraît réel. (…) Ne te laisse pas abuser par les apparences ». Il y a comme une contradiction dans les deux assertions et le doute sur la réalité de chaque univers est bien ainsi justifié. Ensuite la mort de Murphy, qui bien que se vidant de son sang après avoir été touché par le tir d'Ash, finira quand même par disparaître en se désintégrant.

Enfin à la fin du film, il y a l'apparition sur la scène de l'Opéra, dans la salle vidée de tout spectateur, de la « Ghost », auréolée d'une lumière blanche irradiante. Ash la met en joue, un plan de coupe fugace apparaît : le chérubin de la statue du comptoir a retrouvé son visage. Retour sur Ash et le canon de son arme, puis sur le visage en gros plan de la fillette qui esquisse alors un sourire énigmatique. Cut sur un écran informatique : « Welcome to Avalon », le film est terminé (Image 4).

Capture d'écran du film Avalon

Image 4. Que signifie cet énigmatique sourire ?

Quelle réalité ?

Si cet avant-dernier univers, dans lequel Ash rencontrait à nouveau Murphy, n'est pas la Réalité, l'univers annoncé à la fin du film l'est-il pour autant ? Il nous semble que non. D'abord le sourire de la fillette n'est pas des plus avenants et n'augure rien de bon pour l'avenir. Ensuite, si l'on se réfère à la légende arthurienne, Avalon est une île légendaire (le statut est celui-là, déjà dans la légende) où les héros fatigués vont se reposer éternellement de leurs blessures et ils y sont accompagnés par neuf femmes, les « Nine Sisters », généralement en pleurs sur les corps de leurs passagers. Quelle est donc la signification de cet Avalon auquel OSHII nous souhaite la bienvenue ? S'agit-il du monde réel du spectateur, qui va voir les lumières de la salle de cinéma se rallumer ? Est-ce à dire que la virtualité de nos existences sera dans un futur proche plus dangereuse que la réalité de nos corps ? Ce qui est sûr, c'est qu'OSHII pose la question de la mutation constante qui se fait jour de plus en plus dans nos sociétés entre réalité et virtualité. Une métamorphose qui ne semble pas avoir de forme terminale et qui n'hésite pas à repasser par des formes qu'elle a déjà digérées dans son processus mutant.

1. MALORY Thomas, Le Roman du Roi Arthur et de ses Chevaliers de la Table Ronde, Tome II, Nantes, L'Atalante, 1994, p. 114 (traduit de l'anglais par Pierre Goubert, Le Morte d'Arthur, ouvrage écrit entre 1469 et 1470 et paru pour la première fois en 1485).

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