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Tenshi no tamago

Sommaire :
  1. Monochromes
  2. Christique
  3. Un ange
  4. Sacrifice

Les derniers survivants de l'humanité

Des hommes monochromatiques

Trois façons de représenter l'humain sont repérables dans le film d'OSHII : les hommes monochromatiques, le jeune homme et la fillette. Lorsque la fillette arrive dans la ville, le spectateur suppose que ce lieu est abandonné. Plusieurs plans de la fillette sont cadrés de telle sorte que la caméra se trouve derrière des vitres de bâtiments devant lesquelles elle passe. Dans les pièces où se situent ces vitres, il y a des objets et du mobilier laissés à l'abandon. Mais alors qu'elle se trouve sur la place et remplit à la fontaine son flacon rond, la cloche se met à retentir et la caméra fait alors découvrir au spectateur les hommes monochromatiques (entièrement en gris) alignés par dizaines derrière les vitres des grands bâtiments qui entourent la place. Ces hommes ne font que deux choses : attendre et chasser (pêcher ?) les “poissons-ombres”. La fillette expliquant cela au jeune homme, il est évident que c'est un processus qu'il répète inlassablement. Ils tentent de lutter contre l'état du monde dans lequel ils sont plongés. Leur réaction est profondément humaine et en cela ils s'opposent (sans succès, puisqu'ils n'arrivent pas attraper de poissons-ombres et qu'un second déluge aura lieu) à l'évolution de l'humanité ou du moins au passage à un autre niveau d'humanité. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils semblent déjà morts, idée véhiculée par leur représentation monochromatique et sensiblement uniforme (Image 1).

Capture d'écran du film Tenshi no tamago

Image 1. Les derniers humains attendent et luttent vainement contre l'évolution.

Une figure christique

Deuxième représentation de l'humain, le jeune homme est peut-être la plus énigmatique. Il est difficile de clairement lui attribuer une symbolique, tout au plus pouvons-nous émettre quelques pistes de réflexions. D'abord il est Un, dans ce sens qu'il est présent au début et à la fin. Il semble d'une certaine façon omniscient car au début du film, il se rappelle la question de la fillette (« Qui es-tu ? ») alors qu'elle ne l'a pas encore posée. Même si lui-même pose la question de savoir ce qui se trouve dans l'oeuf, il n'est pas impossible qu'il connaisse déjà la réponse tant le geste qu'il aura de le briser est lourd de conséquences et qu'il ne semble pas être étonné de ce qu'il va advenir du monde après ce geste. Voir en lui une figure christique est une hypothèse de lecture de ce personnage tout à fait valable : en effet, ses deux mains sont bandées, il porte un objet qui a la forme d'une croix et il ne possède pas de réponse toute faite, mais au contraire pousse la fillette à la réflexion en lui posant plusieurs fois la question sur l'oeuf. De plus, au début du film, il rencontre la grande machine-oeil qui peut être vu comme une représentation de Dieu, qui observe et qui juge. On pourrait alors penser que les sirènes de la machine sont les trompettes de l'Apocalypse et si l'on arrivait à compter les innombrables statues, peut être en trouverions-nous 144 000 comme les Élus (Image 2).

Capture d'écran du film Tenshi no tamago

Image 2. Le jeune homme ou la figure christique.

Un ange parmi les hommes...

Troisième et dernière représentation : la fillette. Elle transporte un oeuf qu'elle dit avoir trouvé au pied du squelette fossilisé de l'oiseau géant dans l'Arche qui lui sert de refuge. Lorsqu'elle se déplace, elle le protège en le cachant sous sa robe et le tient par en dessous, ce qui donne d'elle une image de femme enceinte. Ces traits sont encore ceux d'une fillette et bien qu'elle connaisse les hommes monochromatiques et leur occupation, elle n'est pas à l'aise en leur présence. Elle n'est pas non plus à l'aise avec le jeune homme et lui posera plusieurs fois la question, « Qui es-tu ? », à laquelle jamais il ne répondra. Le titre du film Tenshi no Tamago signifie l'oeuf de l'ange, et si cette proposition peut vouloir dire que l'ange n'est autre que l'oiseau fossilisé dont on peut supposer que l'oeuf provient (c'est d'ailleurs ce que la fillette croit), il est possible aussi de supposer que l'ange n'est autre que la fillette. Son attitude vis-à-vis de l'oeuf supporte cette hypothèse de lecture du personnage. Ses cheveux ont un caractère tout à fait angélique, plusieurs fois dans le film son visage est comme menacé d'être englouti par eux (Image 3).

Capture d'écran du film Tenshi no tamago

Image 3. Les cheveux angéliques si particuliers de la fillette.

Il est intéressant de relever qu'OSHII prit une décision particulière en ce qui concerne l'animation des cheveux de la fillette. Normalement, un cellulo se peint sur le dos et dans un ordre inverse, mais OSHII décida que les cheveux seraient peints sur le devant de la feuille, donnant ainsi à la chevelure de la fillette une texture et un bougé si particulier (Image 4).

Cellulo du film Tenshi no tamago

Image 4. Copie d'un cellulo du film où l'on peut deviner le rendu particulier des cheveux.

Un sacrifice nécessaire ?

A la fin du film, une fois la fillette sacrifiée, lorsque la machine-oeil surgit hors de l'eau, la fillette et son oeuf font partie des statues, ce qui tendrait à confirmer son statut angélique. En effet, il est très probable que l'on puisse percevoir la mort de la fillette comme un sacrifice. En soi, le moment où l'oeuf est brisé n'engendre aucune conséquence immédiate, mais sa découverte par la fillette va la plonger dans le désespoir. Elle va courir hors de son refuge, pour tenter de rattraper le jeune homme, mais elle va tomber dans un gouffre rempli d'eau. Alors que son corps chute dans l'eau sombre, ses mains se posent sur son ventre pour bien réaliser qu'elle n'est plus « enceinte » de l'oeuf, puis remontent le long de son corps en le pressant légèrement comme si elle faisait se déplacer quelque chose dans son corps par le mouvement de ses mains le long de celui-ci. L'une de ses mains finira sur son cou, sa tête se relève et libère un souffle d'air important qui remonte à la surface. OSHII enchaîne deux plans ensuite : le premier est une contre-plongée sur les bulles d'air expulsées par la fillette montant vers la surface dans l'eau noire jusqu'à ce qu'elles en disparaissent presque. Le plan qui suit, en plongée, montre la surface où viennent apparaître et flotter une myriade d'oeufs blancs. Le film montre alors des plans d'oeufs avec des oisillons à l'intérieur (comme au tout début du film), qui ont poussés sur des arbres un peu partout dans les lieux que les personnages ont visités. La fillette vient, de par sa mort, de donner naissance à la vie future. Il s'agit bel et bien d'un sacrifice. Elle a d'ailleurs le visage d'une femme plus que d'une enfant, lorsque sous l'eau elle va expulser la vie hors d'elle (Image 5).

Capture d'écran du film Tenshi no tamago

Image 5. La fillette devenue femme expulse le souffle de la vie.

Dans cette oeuvre si particulière aux accents poétiques et lyriques, OSHII pose quelques unes des pièces maîtresses concernant sa vision des hommes dans son univers personnel : un rapport fort et ambigu à la religion chrétienne, assez particulier pour un Japonais (dans les dialogues du film, lorsque le jeune homme échange de nombreux mots à la jeune fille peu de temps avant qu'il ne brise l'oeuf, il lui raconte une histoire qui reprend par moment mot à mot les écritures bibliques relatives au Déluge). Ensuite, la vision pessimiste d'une humanité en déclin et qui est incapable de se maintenir à niveau et de s'adapter véritablement à son évolution et au rythme de sa modernité. Enfin, la présence d'êtres à part qui pour lui seront le salut de notre espèce et la naissance d'une nouvelle forme de vie, issue de la nôtre.

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