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Espace urbain
Sommaire :
- Perdition ↓
- Immobilisme ↓
- A la marge ↓
- Mutation ↓
La perdition de l'humanité↑
Il abaissa les cieux, et il descendit : Il y avait une épaisse nuée sous ses pieds.1
Chez OSHII, l'espace urbain est en constante mutation, aussi n'est-il pas très surprenant que pour lui, l'homme y trouve sa perdition, au sens premier du terme : qu'il s'y perde, s'y dissipe. D'ailleurs, il arrive chez le cinéaste que certains humains soient qualifiés comme inadaptés au monde qui les entoure, et plus particulièrement la ville (comme par exemple le vieux monsieur qui descend ses poubelles dans une scène de Ghost in the Shell) ; OSHII critique donc l'espace urbain comme un lieu où les humains tendent à se perdre, à manquer de plus en plus de repères.
Avant la perte, l'immobilisme ou presque...↑
Déjà dans Beautiful Dreamer, les personnages avant de se rebeller contre cette ville qui leur fait revivre sans cesse la même journée passent leur temps à s'y perdre : Mendo dans sa voiture qui parcourt la ville de nuit sans trouver de pont lui permettant de rejoindre son domicile (Image 1), le train de banlieue ou le car qui tournent en rond, les deux professeurs sur la moto qui dans le même plan semblent faire du sur-place, etc. Mais une fois, l'espace urbain éclaté et désincarné, par sa transformation apocalyptique au milieu du film, les personnages ne se perdent plus, ils en disparaissent littéralement.
Image 1. Au centre de l'image, les phares de la voiture de Mendo, perdus dans les ruelles inextricables de la ville (Beautiful Dreamer).
Dans Tenshi no Tamago, la ville « abandonnée » abrite les chimères aquatiques (les poissons-ombres) des hommes monochromatiques, qui ne comprennent pas la vacuité de leurs gestes et de leur refus de l'évolution inéluctable que le monde va connaître. Ils se perdent dans cette ville qui nous rappelle esthétiquement les cités allemandes du début du siècle, où les constructions architecturales et les jeux d'ombres et de lumières renvoient à l'expressionnisme et à ses contrastes.
A la marge ou face à l'immensité de la ville↑
Dans Jin-Roh, les personnages n'arrivent pas à trouver leur place dans la ville. Le lieu de leur accomplissement est symbolisé par le toit d'un immeuble, comme retiré du monde sur ses hauteurs, mais conscient de leur enracinement à la matérialité terrestre, ils regardent avec envie le ballon rouge de la fillette s'envoler depuis le toit vers les cieux, jaloux de ne pouvoir en faire autant. Quant aux lieux de leur chute, quoi de plus approprié pour ces êtres, dont l'animalité est sans cesse rappelée au spectateur par leurs armures, le nom de leur Brigade, le conte du Petit Chaperon Rouge, que les égouts et les terrains vagues. L'humanité, qui souffre en silence (à la différence des terroristes et des manifestants du début du film dont le bruit et la fureur sont les signes de vitalité de leur appropriation de l'espace urbain), est reléguée en marge, elle n'a pas droit de se donner en spectacle et elle se perd dans les confins de l'urbanisation, dans ses frontières entre la ville en devenir et celle du passé (Image 2).
Image 2. Quand la ville rejette dans ses frontières l'humanité en souffrance (Jin-Roh).
Dans Innocence, Batou et TOGUSA lorsqu'ils se rendent à la ville du Nord, la survolent depuis l'avion qui les transporte et ils en profitent pour la contempler. Cette ville est doublement un lieu de perdition, à la fois dans son immensité apparente (et le Festival dans la séquence suivante vient le confirmer), mais aussi dans son statut juridique, lorsque Batou nous explique, que destinée au départ à devenir un centre mondial d'informations, elle s'est transformée petit à petit en un repère de corruption et de criminalité, loin de tout état de droit (Image 3).
Image 3. Immensité de la ville du Nord : lieu de perdition par excellence (Innocence).
Une mutation urbaine qui perturbe↑
Mais Patlabor est certainement le film dans lequel OSHII déploie toute sa vision de la ville comme lieu où se perd l'humain. Les pérégrinations de MATSUI en attestent bien évidemment, mais aussi la confusion qui résulte de la folie des Labors, comme si l'espace urbain, que l'homme a mis plusieurs siècles à définir et à construire, et qu'il n'a pas encore achevé, ne lui appartenait désormais plus. Coincés sur la terre parce que trop réduite pour leurs ambitions de conquête, les hommes annexent la mer. Le Projet Babylone, dont le nom le détermine d'emblée comme un échec en puissance, perd et dissipe encore plus l'humanité car il la soumet à la demande d'efficacité et d'existence des Labors si les hommes veulent l'accomplir. HOBA, par son virus installé dans les Labors, critique cette mutation trop rapide de l'urbanisation. Il oppose aux gratte-ciels, les maisons traditionnelles en bois (Image 4), mais celles-ci sont vouées aussi à disparaître dans sa folie vengeresse.
Image 4. Opposition entre tradition et modernité : l'humanité se perd dans l'urbanisation (Patlabor).
Car, le pessimisme du film débouche soit sur la destruction de Tokyo (donc plus de modernité mais plus de tradition non plus), soit sur l'abandon du Projet Babylone, ce qui impliquerait la destruction plus rapide et systématique des habitations anciennes dans la capitale. L'humanité commence à ne plus vraiment avoir sa place dans le Tokyo de Patlabor. Cette assertion est d'ailleurs combattue par le second film, où les hommes semblent vivre pleinement dans ce Tokyo là. Et même une fois la ville soumise à la loi martiale et à la présence étrange de l'armée dans ses rues, dans Patlabor 2 la vie continue, car l'humanité semble vivre en paix avec son environnement urbain. Mais le film va nous dévoiler qu'il s'agit là, en réalité, d'une paix factice...
1. Le deuxième livre de Samuel, Chapitre 22, verset 10 : « He bowed the Heavens also, and came down: and darkness was under his feet. », texte inscrit en anglais sur le mur de la maison abandonnée d'HOBA dans Patlabor.